3 caractéristiques de l'écoute musicale pour la cohésion de groupe
Publié le 22 fév. 2015
Le jeu d’un orchestre figure parmi les activités qui expriment le plus richement la force d’une création collective : la collaboration intelligente et complexe qu’elle nécessite, la cohésion de groupe qu’elle sous-tend, l’émotion qui s’en dégage.
C’est le lieu d’un travail d’élaboration qui multiplie les défis : trouver un son d’ensemble tout en mettant en valeur les sonorités opposées des différents instruments ; résoudre les difficultés techniques que posent les partitions mais aussi interpréter des œuvres de la plus haute portée humaine.
Bien plus que la maîtrise technique, l’écoute est la base du jeu de l’orchestre. Ainsi à l’Orchestre Philharmonique de Berlin, il existe cette règle de jeu au sein des pupitres de cordes : donner tout le son de son instrument tant que l’on continue d’entendre celui des instrumentistes du pupitre qui est devant vous.
Un cercle vertueux entre 3 niveaux d’écoutes
L’écoute des musiciens est triple. Il s’agit d’abord pour chacun des instrumentistes d’écouter ce que l’on joue soi-même : contrôler la justesse d’intonation, l’enchaînement des rythmes,la couleur expressive. Puis d’écouter ce que jouent les collègues de pupitre : se coordonner. La musique symphonique étant l’art du dialogue entre des pupitres qui se répondent, l’écoute est aussi nécessairement celle des autres pupitres, ceux avec lesquel vous partagez un thème, ceux qui servent de support, ceux qui jouent des contrechants, ceux qui s’appuient sur vous…. Puis vient ce moment magique de l’écoute du résultat d’ensemble, où chaque musicien trouve intuitivement sa place au sein de l’œuvre.
Cette écoute musicale multiple est un savoir-faire très exigent. Par exemple, il arrive que les clarinettistes qui jouent en général devant les trompettistes ne s’entendent pas. Et pourtant, même dans ces moments, ils ont développé les savoir-faire pour mieux contribuer au son de l’orchestre projeté des mètres devant eux. Mais c’est avant tout un cercle vertueux et créateur.
C’est en écoutant les autres, que chacun des musiciens met l’ensemble de sa maîtrise au service du travail collectif en visant la justesse d’ensemble et l’équilibre du son. Cohésion de groupe : c’est par cette écoute que chacun des pupitres trouvent le confort et l’inspiration pour donner le meilleur de lui-même . C’est par l’attention au résultat d’ensemble que le travail de chacun prend son sens et devient plus facilement créateur. Jusqu’à cette situation de grâce où nait le son orchestral : l’orchestre dans son ensemble élabore l’interprétation de l’œuvre. Permettant en retour à chacun des musiciens de mieux contribuer, avec plus de force et de confort.
Un partage de modes de compréhension
Écoute littérale. On commence par écouter les caractéristiques du son : la hauteur des notes, la durée des rythmes. Les musiciens connaissent l’exigence de cet apprentissage : être capable de restituer totalement et de façon organisée ce que l’on a entendu. Dictée à 1, 2, 3, 4 voix. Jusqu’à la célèbre anecdote où l’on voit Mozart transcrire après une seule écoute au Vatican la partition d’une œuvre interdite de copie : le Miserere d’Allegri.
Écoute repère.Les sons sont des évènements fugaces qui ont besoin d’être reliés au monde physique pour acquérir un pouvoir de sens et d’émotion. Le son d’une voix qui nous recommande de fuir ou nous annonce une bonne nouvelle.Le son d’une porte qui claque, indicateur d’un coup de vent ou messager du retour d’un être aimé. Le son d’un hautbois. Le son si dérangeant d’un instrument inconnu qui devient petit-à-petit celui d’un violon chinois. L’éducation des musiciens comporte aussi les commentaires d’écoute : comment se repérer rapidement et avec justesse dans des productions sonores de natures très diverses ?
Écoute structurante. L’écoute prend son véritable sens quand elle permet de comprendre. Le sens esthétique de ce que l’on entend ou que l’on joue. Quelle est l’émotion que je ressens ? Comment le discours musical doit-il nécessairement être organisé ? Comment jouer ?
Écoute en action. C'est tout ce potentiel d'intelligence collective qui est à l’œuvre dans le "Musizieren" : l'action de faire de la musique ensemble d'un groupe de musiciens à l'écoute.(1)
Un mode organisé de collaboration
La force de la musique réside dans l’émotion qu’elle suscite, chez les auditeurs comme chez les interprètes. Jouer sur scène une grande œuvre collective – Les Vêpres de la Vierge de Monteverdi, la 7ème symphonie de Beethoven, Pelléas et Mélisande de Debussy pour évoquer des souvenirs personnels marquants – compte parmi les expériences les plus exaltantes : réalisation, passion et fusion. Mais l’émotion n’est pas le seul vecteur du jeu des orchestres ; livrée à elle seule, c’est au contraire un risque de violence et une source de conflits. Cohésion de groupe : l’écoute musicale organise au contraire le jeu collectif des musiciens autour de deux attitudes nécessaires et complémentaires.
L’écoute musicale active nécessite d’abord une distanciation, une liberté par rapport à l’environnement sonore. Pour découvrir la loi d’attraction terrestre le savant doit pouvoir regarder tomber la pomme sans avoir besoin de la dévorer parce qu’il a faim (2). Cette mise à distance se conjugue avec un intérêt manifeste pour l’objet d’écoute, une attention extrême des musiciens à ce qu’ils cherchent à entendre, une tension de l’écoute vers le jeu des autres et le résultat d’ensemble.
De cette conciliation entre la disponibilité et l’attention nait le dialogue musical comme le goût de s’y livrer : imitation, ornementation, variation, accompagnement, prise de liberté, unisson, chant polyphonique…. Comme le donne si bien à entendre et voir l'Orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam (vidéo jointe)
Lors de votre prochain concert symphonique soyez attentif à ce premier moment magique : au bout de quelques minutes, de quelques secondes – c’est la beauté du direct – nous cessons d’entendre 25, 60 ou 100 musiciens sur scène mais un seul instrument vibrant, puissant, sensible : l’orchestre. Oui, écoutez : c’est une source de découvertes, d’émotions et de progression qui ne se tarit jamais. Un chercheur de Harvard a défini l’attention des musiciens comme la source de la beauté et de la force du jeu d’orchestre (3). Quelles sont les qualités d'écoute que vos équipes mettent en œuvre ?
Article publié par Guy Perier, Chef d’orchestre / Team building § Leadership par la Musique : La Performance Généreuse sur le blog www.team-building-musique.com
(1) Se reporter par exemple au beau témoignage de Jean-Christophe Frisch partant à la rencontre de musiciens de cultures lointaines pour jouer leur musique, Le Baroque Nomade Actes Sud
(2) François Wolff Pourquoi la musique ? Fayard
(3) Helen Langer Mindfulness in the Age of Complexity Harvard Business Review
Guy Perier
Chef d'orchestre § Orchestrateur de Leadership
Sur des enjeux de leadership ou de cohésion d’équipes, notamment multiculturelles, j’accompagne dirigeants et managers dans un double objectif : des performances individuelles et collectives plus généreuses.